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Lecture : Changer l'eau des fleurs, un deuil et une reconstruction

une femme et sa fille de 5 ans regardent un vieux passer en étant accoudés à une barrière. Elles portent des robes fleuries et sont à la campagne. Cela évoque le bonheur d'une vie en famille à réaliser des choses simples, prendre le temps des petits moments mère-fille.

"Changer l'eau des fleurs" de Valérie Perrin est un roman poignant qui explore en profondeur le processus du deuil à travers le personnage de Violette Toussaint. Femme discrète au passé marqué par la douleur et la solitude, Violette s’occupe désormais d’un cimetière en Bourgogne, où elle veille sur les tombes comme elle l'aurait fait avec les vivants. Le cœur du roman bat au rythme de son parcours intérieur, celui d’une mère qui a perdu son enfant dans des circonstances tragiques et qui tente de se reconstruire malgré le poids de la culpabilité et de la tristesse.


La perte tragique de Léonine : un deuil indicible


Violette n’a pas eu une enfance heureuse. Orpheline très jeune, elle est élevée sans amour et sans soutien, ce qui la conduit à épouser Philippe Toussaint, un homme égocentrique et maltraitant. Narcissique, il laisse à Violette tout le fardeau domestique et parental, préférant s’adonner à ses loisirs et aventures extraconjugales. Leur fille, Léonine, incarne pour Violette la lumière dans une vie autrement terne et sans joie. Mais cette lumière s’éteint brutalement lorsque Léonine meurt dans un incendie alors qu’elle était en colonie de vacances.


Cette perte est un coup dévastateur pour Violette, un traumatisme qui la plonge dans une vallée des larmes dont il semble impossible de sortir. Le deuil d'un enfant, surtout dans des circonstances aussi brutales, est sans doute l’un des plus difficiles à vivre. La mort de Léonine devient un gouffre dans lequel Violette s’enfonce, d’abord paralysée par la douleur et la culpabilité. Elle est hantée par les questions sans réponse : qui est responsable de cet incendie ? Et comment continuer à vivre après une telle tragédie ?


Le processus de deuil : entre souffrance et résilience


Le roman met en lumière le processus de deuil à travers ce que l'on appelle communément la "courbe du deuil", ou la "vallée des larmes". Ce modèle, inspiré des travaux d', décrit les différentes étapes que traversent les endeuillés : le choc, le déni, la colère, la dépression, et enfin l'acceptation. Pour Violette, chaque étape est vécue de manière intense et bouleversante. Elle vacille entre la colère contre elle-même, contre le monde, et la douleur d’avoir perdu la seule personne qu’elle aimait vraiment. Cependant, chaque personne traverse ces phases à son propre rythme, et c’est ce que Valérie Perrin illustre avec beaucoup de justesse dans ce roman.


Le travail de deuil de Violette est d’abord solitaire. Sa douleur la coupe des autres, et il lui est difficile d’exprimer pleinement sa tristesse, d’autant plus que son mari Philippe, peu impliqué dans la vie de leur fille, semble lui, insensible à cette tragédie. Il l’abandonne moralement et physiquement, la laissant se débattre seule avec cette immense douleur.


Mais, au fil du temps, Violette apprend à apprivoiser sa souffrance. Elle quitte son ancienne vie pour s’installer dans un cimetière, un lieu qui, paradoxalement, va la ramener à la vie. Le soin qu'elle apporte aux tombes des autres devient une sorte de thérapie, une manière symbolique de prolonger l’existence de Léonine en prenant soin des morts comme elle aurait pris soin d’elle.


La psychanalyse et la rencontre avec soi-même


Dans ce processus de deuil, on peut faire un parallèle avec l’approche psychanalytique. Le travail de deuil nécessite, selon Freud, un détachement progressif de l'objet perdu. Toutefois, il ne s’agit pas d’oublier, mais de redéfinir le lien avec le défunt. Dans le cas de Violette, le cimetière représente cet espace liminal où la frontière entre les vivants et les morts devient plus poreuse. Elle y redécouvre peu à peu son identité et ses émotions refoulées.


L'approche de Michael White, dans la thérapie narrative, pourrait également s’appliquer à Violette. White suggère de ne pas dire au revoir au défunt, mais de dire "bonjour" en réintégrant la personne décédée dans le récit de notre vie. Plutôt que de tenter d'effacer la mémoire de Léonine, Violette intègre son souvenir dans son quotidien, non pas comme un fardeau de tristesse, mais comme une source de force et de résilience. C’est à travers cette idée que Violette parvient à se réconcilier avec la perte de sa fille.


La reconstruction par les rencontres


Si le cimetière devient le lieu de sa renaissance, c’est également parce que Violette y fait des rencontres qui l’aident à se reconnecter avec elle-même. Parmi elles, des personnes endeuillées, des visiteurs venus pleurer leurs proches, des amitiés inattendues qui redonnent un sens à sa vie. Ces relations sont autant d’étapes dans sa guérison : elles lui offrent des perspectives nouvelles sur la mort, la mémoire, et sur la manière dont on peut continuer à aimer même après la perte.


Ces rencontres sont réparatrices et lui permettent de faire le lien entre la vie et la mort, le souvenir et l’oubli, la souffrance et la paix intérieure. Peu à peu, Violette s’autorise à vivre de nouveau, à sourire, à aimer, tout en acceptant que la présence de Léonine ne la quittera jamais entièrement. Chaque personne qui croise sa route participe à ce processus de "guérison", chacun à sa manière.


Un chemin personnel de deuil


L’histoire de Violette, dans *Changer l’eau des fleurs*, montre que le deuil est un chemin intime, unique à chacun. Il n'y a pas de manière "correcte" de faire son deuil. Certains, comme Violette, trouvent du réconfort dans la solitude, puis dans le soin des autres. D'autres s’accrochent aux souvenirs ou, comme le suggère Michael White, créent un dialogue permanent avec leurs défunts. Ce qui importe, c’est de trouver un chemin vers la réconciliation avec soi-même, et d’accepter que le deuil ne se résout jamais vraiment : il se transforme, il évolue, mais il ne disparaît pas.


En prenant soin des morts, en changeant l’eau des fleurs sur les tombes, Violette trouve une nouvelle façon de se relier à la vie. Elle apprend, à travers ce rituel, à cultiver le souvenir, à soigner les blessures, et à dire bonjour à la vie, à nouveau.


une femme devant un cimetière qui porte un manteau noir entrouvert sur une robe fleurie en couleurs vives. Cela évoque que malgré le deuil il peut y avoir encore en chacun de la couleur et de la joie à laisser apparaître.

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